Quand j’ai commencé mon doctorat, un nouveau sentiment quotidien est venu s’abriter dans ma tête. Ce mélange d’angoisse, de culpabilité, d’envie de fuite imminente ne m’a plus lâché et a même grossi au fil des ans. J’ai pu constater à mon grand désarroi, et sans que cela ne contribue nullement à le diminuer, que la plupart des doctorant.e.s rencontré.e.s étaient atteint.e.s par ce mal. Que je sois sous la douche ou en plein jogging, je me disais sans cesse que je n’en faisais pas assez, que j’aurais dû être en train de rédiger, etc. Malheureusement mon entourage n’était pas épargné par ma litanie intérieure. Famille, conjoint, ami.e.s subissaient alternativement mon désespoir, mes reproches ou ma paranoïa (le moindre reflet dans leurs yeux se muant en doute, « pensent-t-ils que je ne travaille pas assez? »). Lasse, j’ai fini par réaliser qu’il existe certains remparts à cette lamentation intérieure qui nous empoisonne l’esprit. Plusieurs conseils me sont venus de sources diverses au cours de mon parcours et m’ont permis d’être un peu plus zen dans ma rédaction. Je ne détaillerai pas l’ensemble de ces conseils, dans la mesure où certains sont assez documentés (développer une méthode de travail, rechercher du soutien psychologique, briser le sentiment d’isolement, etc.), mais je m’attarderai sur l’un d’entre eux, souvent sous-estimé ou peu connu, le carnet de thèse. Qu’est-ce un carnet de thèse et que contient-il ? Un carnet de thèse est, comme son nom l’indique, un petit cahier avec une couverture cartonnée et une centaine de pages qui nous suit partout et dans lequel on écrit à tous les jours (ou presque). Je choisis toujours une belle couverture pour m’encourager. Qu’écrit-on dans son carnet de thèse ? À chaque jour, je commence par écrire la date, puis les objectifs de la journée (qui sont réalistes !). Au fur et à mesure, j’y reviens, je coche ce que j’ai réussi à faire ou pas. Je note aussi toutes mes questions, les problèmes rencontrés, mes idées, mes observations, une remarque que je ne veux pas oublier ou un commentateur que je devrais consulter plus tard. Je fais des mini-plans, des ébauches de titres, de plans, je marque les rencontres et discussions avec des collègues ou professeur.e.s, des bilans hebdomadaires. J’écris ce qui me tracasse quand je n’arrive pas à rédiger, mais aussi ce que j’ai réussi à surmonter comme obstacles, les trucs et astuces qui m’ont aidé, ce que j’ai appris et comment, ce que je pourrais améliorer pour la prochaine fois. En quoi est-ce utile ? De manière générale, le carnet de thèse est un formidable outil pour explorer un sujet, générer des idées, les relier entre elles, les ordonner, donner du sens à l’expérience que l’on vit, faciliter l’apprentissage, construire une pensée et un esprit critique, conserver la genèse de notre travail. Je me contenterai ici de détailler quatre avantages majeurs qui vous convaincront de l’adopter ! Avantage numéro 1 : se construire une bulle de rédaction Comme beaucoup de doctorant.e, je ne peux pas me consacrer mentalement et matériellement à temps plein à ma thèse, car j’ai d’autres tâches à gérer dont mon travail d’enseignante. Pour réussir à tout concilier, j’essaye de me créer une bulle de rédaction. C’est un espace mental quotidien, facile d’accès, dans lequel mon esprit est disponible pour écrire, débarrassé de toute autre considération. C’est là que mon carnet de thèse entre en scène ! Quand je commence ma journée, mon carnet me permet de reprendre là où j’en étais, de mesurer les étapes qu’il reste à faire et de suivre mon cheminement. Il m’aide à conserver la trace de que je construis, à créer un espace intime à moi, dans lequel il n’y a pas de jugement extérieur. Avantage numéro 2 : une planification facilitée et réaliste Mon carnet de thèse est un outil qui me permet de savoir combien de temps cela m’a pris pour écrire telle section ou tel chapitre de ma thèse, quels ont été les obstacles nuisant à ma rédaction, tout ce que j’ai déjà réalisé et ce qui reste à faire. Bref, il me permet d’avoir une meilleure conscience du temps que cela me prend pour réaliser des tâches, je peux ainsi planifier de manière plus réaliste mes objectifs et apprendre de mes erreurs. Avantage numéro 3 : expliciter sa pensée à soi avant de le faire pour autrui Pour pouvoir écrire à qui ce soit, il faut commencer par y voir clair pour soi. Or, on a parfois tendance à se lancer directement dans l’écriture pour une tierce personne, sans être passé auparavant par la sphère du langage interne. C’est une erreur que commette beaucoup des étudiant.e.s et qui leur fait finalement dire qu’ils ont compris leur sujet après avoir écrit leur thèse ou leur mémoire. Avant d’écrire pour autrui, assurez-vous d’être au clair avec votre pensée. Le carnet de thèse est le « lieu » où noter toutes les réponses intérieures aux questions essentielles du genre : « quels sont mes résultats ? Qu’est-ce que j’ai compris de tel commentateur ? Quelles sont les sources sur lesquelles je vais m’appuyer ? Qu’est-ce qui me semble bloquer dans telle section ? Qu’est-ce qui rend mon travail intéressant er pertinent pour moi ? Quel terme dois-je définir ? Que pourrait-on m’objecter ? Quel message vais-je faire passer ? » Il est parfois difficile d’être juge de ce que l’on écrit. Mais en notant nos pensées et nos idées et en y revenant régulièrement, on acquiert un recul et une meilleure conscience de son travail. Dernier avantage et non des moindres: Le pouvoir du sentiment d’accomplissement! On a souvent l’impression que le doctorat est une gigantesque montagne qu’il faut gravir. Mais « Rome ne s’est pas faire en jour » et diviser cette tâche gigantesque en petites collines est la meilleure manière d’en diminuer l’énormité. Lorsque je regarde mes carnets de thèse (parce que j’en ai effectivement rempli plusieurs), je me sens fière de voir tout ce que j’ai accompli. C’est ce sentiment qui me donne le courage de persévérer. Si je vois que j’ai été capable d’écrire ou de réaliser déjà tellement de choses, je me dis que finalement ce n’est pas si gros et que je vais finir par y arriver. Autrement dit, le carnet de thèse, c’est un peu comme tous ces panneaux de kilométrages que l’on a dépassés dans un marathon et qui nous disent que si on a pu faire 30 km, on sera capable de franchir la ligne d’arrivée ! Billet rédigé par Philippa Dott., doctorante en philosophie ancienne, Université de Strasbourg et Université Laval
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Émilie Tremblay-W. et Sara Mathieu-C., en collaboration avec Geneviève Belleville, ont eu le plaisir de décortiquer les enjeux liés à la rédaction d'un mémoire ou d'une thèse, comparaisons marathoniennes à l'appui, dans le plus récent numéro de la publication Le Tableau du Portail du soutien à la pédagogie universitaire du réseau de l’Université du Québec. Connaissez-vous le Portail du soutien à la pédagogie universitaire? C'est un lieu de convergence de l'information qui vise à mieux faire connaître des initiatives réalisées en soutien à l'enseignement et à l'apprentissage des établissements du réseau de l'Université du Québec (UQ) et de leurs partenaires.
Pour en savoir plus sur ce numéro sur la persévérance chez les étudiant.e.s en rédaction, consultez le Volume 6, numéro 3 et n'hésitez pas à commenter! Dans moins d'une semaine, nous serons de retour au Manoir d'Youville pour une 18e édition des retraites Thèsez-vous?. Cette fois-ci, nous discuterons de style (scientifique) avec Roxanne Borgès Da Silva lors de l'atelier Experthèse! Résumé La rédaction scientifique s’appuie sur la rhétorique et implique une bonne maitrise de la construction des paragraphes. Ce sera l’objet de la première partie de cet atelier. La deuxième partie de l’atelier sera consacré au style en rédaction scientifique a des caractéristiques souvent peu connues, peu maitrisées et différentes de la rédaction littéraire. Cet atelier permettra aux étudiants d’acquérir les connaissances relatives à la technique du paragraphe et au style de rédaction scientifique. Roxane Borgès Da Silva est professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, titulaire d’une bourse de carrière Junior 1 du FRQS et chercheuse à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal. Économiste de formation, elle enseigne l’économie de la santé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et la rédaction scientifique aux étudiants des cycles supérieurs. |
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