Passer à travers la pandémie en étant au cœur des activités de Thèsez-vous représente une des phases les plus intenses de ma vie. Encore aujourd’hui, je rattrape des retards, certains courriels et autres engagements qui m’ont glissé entre les doigts entre deux remous. Dans ce contexte, plusieurs questionnements ont émergé, d’autres se sont amplifiés, notamment à l’égard du rôle que doit jouer la direction générale d’un organisme comme le nôtre. J’en suis venue à la conclusion qu’il était temps de passer le flambeau. C’est vrai, ça a peut-être à voir avec la petite fatigue qui m’habite, ainsi que les études et les projets mis en pause depuis trop longtemps. Je dirais toutefois qu’un rationnel plus profond a motivé ma décision.
En effet, six ans plus tard, je saisis davantage les nuances entre les habiletés qui mènent à la fondation d’une initiative comme Thèsez-vous et celles propres à sa gestion. Je perçois aussi, non pas sans fierté, que l’équipe et les projets ont gagné en ampleur et en complexité et que cela exige toute une coordination. Dans les derniers mois, le besoin de bousculer la structure d’origine me semblait de plus en plus présent, dans l’idée d’intégrer des façons de faire moins systématiquement liées à moi, cofondatrice et directrice, dont le pouvoir symbolique reste inévitablement fort, peu importe les approches de gestion adoptées. Ainsi, cette transition est essentiellement une démarche d’humilité qui me pousse à reconnaître que non seulement je ne suis plus indispensable à Thèsez-vous, mais que mon départ entraînera une bonne dose d’innovation et de systématisation. Me voilà donc à la fin de cette histoire, reconnaissante d’avoir eu l’occasion de réfléchir, créer, tester, faire des faux pas, réussir, critiquer, analyser et rire (beaucoup!) avec des personnes dont le degré de rigueur et de mobilisation sont rares. Certaines d’entre elles sont là depuis les débuts et restent des alliées fortes, critiques et généreuses, qui font évoluer l’organisation et sa mission à travers les années. D’autres ont été de passage ou se sont greffées plus récemment. L’arrivée et le départ de ces personnes ont toujours provoqué des remises en question porteuses et stimulantes. Et c’est pour le mieux. J’ai vite compris que le confort est peu souhaitable quand on veut transformer une culture aussi profondément ancrée que celle du milieu universitaire. Puis, il y a les étudiantes et les étudiants qui ont participé aux activités de rédaction structurées et collectives que nous avons organisées. Je ne compte plus les « c’est la pause » et les moments où j’ai eu le privilège d’écouter leurs préoccupations, dont plusieurs ont mené à proposer de nouvelles activités de rédaction ou de formation. Ce n’est pas pour rien que nous tenons à répéter que Thèsez-vous c’est du « par et pour ». Dans notre quotidien, c’est très concret, ça s’exprime dans le choix des membres de nos équipes, mais également dans la façon de s’ajuster et de valoriser l’expérience des principaux et des principales intéressées par nos activités et notre mission. Il s’agit d’un processus continu et exigeant, qui me manquera profondément. Le sens de nos activités se trouve dans cette communauté. Je quitte mon poste avec une grande confiance envers l’équipe et Brintha Koneshachandra qui me remplace à la direction générale. J’ai hâte de voir les projets qui seront privilégiés, avec la confiance qu’ils refléteront une hybridation entre l’analyse des besoins des universitaires et des environnements, l’évaluation des effets souhaitables, ou non, de nos activités, ainsi qu’une créativité débordante. J’ai même l’intuition que certains jeux de mots persisteront. ;) À partir d’octobre, mon implication au sein de Thèsez-vous s’articulera au niveau de nos activités de recherche et de formation. À temps partiel, j’animerai les ateliers et je contribuerai à titre de co-chercheuse à la réalisation des projets de recherche affiliés à l’OBNL. Je ne serai donc pas très loin, et toujours aussi motivée. Je termine avec un merci trop bref aux ami.e.s et collègues, d’hier et d’aujourd’hui, à nos partenaires, aux organismes subventionnaires et aux universités qui se sont joints à nous, aux incubateurs et aux fondations qui m’ont permis d’apprivoiser l’entrepreneuriat et de l’actualiser à ma façon. C’est un cumul de beaucoup d’expériences et de personnes, dont j’espère pouvoir faire mention de façon plus explicite, dès que je trouve le temps de produire quelque chose de plus substantiel sur les leçons tirées de la fondation de Thèsez-vous. À suivre…
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Il y a quelques semaines, ma collègue Sara m’a envoyé un article paru récemment dans le Journal of Contemporary Ethnography. Intitulé Facing the Storm: Our First Annual Faculty of Color Writing Retreat as a Microcosm for Being a Black Woman in the Academy, l’article explorait l’expérience de Mikkaka Overstreet, Janee’ Avent Harris, Loni Crumb et Christy Howard, quatre femmes noires faisant partie du corps professoral d’une université américaine. L’épuisement induit par les luttes antiracistes (racial battle fatigue), les microagressions, la présomption d’incompétence de la part des collègues et étudiant.e.s… la liste des stresseurs avec lesquels elles devaient dealer était longue. J’avais mal au cœur, mais j’étais soulagée de voir la parole de femmes racisées libérée dans cette contribution. Chez Thèsez-vous, on discute déjà, depuis plusieurs mois, de l’organisation d’activités par et pour des étudiant.e.s issu.e.s de groupes marginalisés et/ou sous-représentés. À force de vouloir bien faire ou plutôt par peur de mal faire, on a longtemps repoussé l’initiative à plus tard. Regrouper toutes les minorités marginalisées et créer une cohorte d’étudiant.e.s racisées, LGBTQIA2+, vivant avec un handicap et risquer d’invisibiliser les réalités propres à chaque groupe et sous-groupe? Cibler un groupe spécifique et en négliger d’autres qui vivent des enjeux tout aussi légitimes? On a spinné longtemps! On a fini par prendre la décision de passer à l’action et commencer quelque part et la parution de cet article n’aurait pu mieux tomber pour nous encourager à annoncer le Blitz BIPOC : 6 heures de rédaction en ligne – par et pour les personnes racisées. Cliquer ici pour modifier. Le choix d’appeler cette nouveauté le Blitz BIPOC est plus qu’une belle allitération. L’acronyme BIPOC signifie en anglais «Black, Indigenous and People of Color», même si son équivalent francophone, le sigle NAPDC (Noir.e.s, autochtones et personnes de couleur) existe, le premier demeure plus populaire. Même si l’acronyme BIPOC met en emphase l’oppression historique vécue par les personnes noires et autochtones, il demeure controversé et il est important de l’utiliser avec précautions et de demeurer ouvert.e.s à la critique [1]. Les personnes BIPOC, et surtout celles qui se retrouvent à l’intersection de plusieurs identités marginalisées—comme les femmes noires— rapportent un sentiment d’isolement et un détachement de la camaraderie professionnelle et du support de leurs collègues dans les institutions à prédominance blanche (Kelly and Winkle-Wagner, 2017). C’est ce à quoi Thèsez-vous souhaite s’attaquer avec cette activité de rédaction. Avoir des activités “par et pour” est une façon d’occuper les espaces desquels on était exlu.e.s ou desquels on s’autoexcluait instinctivement par désir de s’autopréserver. C’est donc aussi une façon de se sentir plus en sécurité, de s’offrir une petite pause du code-switching [2], de cette pression à porter un masque pour se sentir accepté.e, et d’avoir l’occasion de libérer la parole sur les barrières, mais aussi sur les facteurs facilitants qui nous permettraient de mieux naviguer les espaces académiques et de ne pas priver le monde de nos idées et de nos contributions. MISE À JOUR - ÉTÉ 2023: Pour la première fois chez Thèsez-vous, nous organisons le Camp Rédigez-vous, édition BIPOC
Date : 7 au 16 août 2023— Tous les lundis, mardis et mercredis Heure : 13 h à 17 h Coût : 50 $ (présentiel) ou 35 $ (virtuel) Il n’est pas nécessaire de détenir un membership Thèsez-vous pour participer à cette activité, mais il faut simplement se créer un profil sur la plateforme de Thèsez-vous. Des bourses sont d’ailleurs disponibles pour participer aux activités. [1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1798414/bipoc-pandc-lutte-contre-le-racisme [2] https://www.facebook.com/watch/?v=2487209838047050 Derrière les activités de rédaction en groupe offertes par Thèsez-vous se loge un principe qui est parfois incompris : rédiger parmi d’autres (write among others). Quelle est cette idée de rédiger parmi d’autres lorsqu’on travaille sur un projet de rédaction aussi individuel qu’un mémoire ou une thèse? Dans le monde académique, l’idée que la rédaction soit un processus social est bien établie1. On rédige POUR les autres (write for others), car l'écriture est une forme de communication et c’est elle qui nous permet, dans le cadre de notre projet de maîtrise ou de doctorat, de transmettre les résultats de notre processus. On rédige aussi AVEC les autres (write with others), ce qui correspond à la co-écriture, entre autres lorsqu’on se fait relire par notre direction de recherche et qu’elle y apporte des commentaires. Mais, contrairement aux croyances populaires, les possibilités de rédaction sociale ne s’arrêtent pas là. Notamment, grâce à Thèsez-vous, on rédige PARMI les autres. Rédiger en groupe « ça n’a pas de prix parce que c’est comme un marathon avec ou sans Gatorade ». – Ruby (participante à une entrevue de recherche sur les activités de rédaction Thèsez-vous)3 Rédiger parmi les autres lors d’activités organisées par Thèsez-vous, c’est rédiger individuellement en compagnie d’autres étudiant.e.s de cycles supérieurs qui réalisent la même chose. C’est s’entourer de personnes qui vivent une réalité universitaire semblable, tout en rendant visibles les obstacles plus importants ou particuliers auxquels font face certain.e.s étudiant.e.s. Quelque soit l’activité de rédaction structurée, en retraite, en ligne ou à l’Espace Thèsez-vous, tou.te.s les participant.e.s forgent leur texte en même temps, au rythme de la technique pomodoro. Chaque 50 minutes d’engagement dans la rédaction est ensuite suivis par 10 minutes de pause permettant une socialisation entre les participant.e.s. En résultat, les participant.e.s, vivent une énergie de groupe extrêmement motivante, parfois qualifié d’un effet de groupe magique. Ce phénomène porte en fait un nom : le flow social. Le flow social? Le flow, concept popularisé par Csikszentmihalyi (1990), est décrit comme une expérience qui se produit généralement lorsqu'on réalise une tâche individuelle en manifestant une totale absorption dans celle-ci, une perte de la notion du temps et de la joie, de l’enthousiasme, voire, de l’exaltation au moment d’achever la tâche. Au final, la raison d'être de l'activité prend un sens d’autant plus important qui se traduit par un désir de répéter l'expérience. Walter (2010) a étendu le concept de flow à celui de flow social en réalisant que ce phénomène peut aussi être vécu lorsqu’on réalise une tâche en groupe, dont les membres sont uniformément très compétents et les défis des uns et des autres sont importants et significatifs pour l'ensemble du groupe. Les indicateurs ajoutés sont la forte attention portée et l’abandon de soi au groupe, au sens de se soumettre à l’atmosphère collective de productivité. Il émerge alors une contagion émotionnelle au sein du groupe qui peut même être constaté par des observateurs externes. Ce sentiment de joie partagé motive le groupe à répéter l'expérience. C'est mystérieux comme phénomène, un peu comme la théorie des neurones miroirs. Le fait qu’on soit tous en train de faire la même chose [écrire] fait en sorte qu’on devient plus fort ensemble. – James (participant à une entrevue de recherche sur les activités de rédaction Thèsez-vous)3 Vous avez l’impression que la solitude et l’autonomie favorise votre rédaction, voire votre productivité? Rappelez-vous que l’humain est un animal grégaire! Il y a tellement d’étudiant.e.s qui réalisent l’importance du groupe lorsqu’iels participent à une activité de Thèsez-vous… Peut-être que ça vaut le coup d’essayer et d’expérimenter ce mystérieux flow social de rédaction ;) Billet rédigé par Cynthia Vincent. Références: 1. Bodenberg, M. M., & Nichols, K. (2019). Time for an “upgrade:” How incorporating social habits can further boost your writing potential. Currents in Pharmacy Teaching and Learning, 11(11), 1077-1082. 2. Csikszentmihalyi, M. (1990). Flow: The psychology of optimal experience. New York, NY: Harper & Row. 3. Vincent, C., Tremblay-Wragg, É., Déri, C., Plante, I. et Mathieu-C., S. (2021). Writing retreats: An ideal opportunity for dissertation writing while enhancing writing self-efficacy and self-regulation in PhD candidates. Teaching in higher education. doi: 10.1080/13562517.2021.1918661 4. Walker, C. J. (2010). Experiencing flow: Is doing it together better than doing it alone?. The Journal of Positive Psychology, 5(1), 3-11. 5. Walker C.J. (2021) Social Flow. In: Peifer C., Engeser S. (eds) Advances in Flow Research. Springer, Cham. doi: 10.1007/978-3-030-53468-4_10 |
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