Par Julie Quynh Nhi Tran, animatrice bénévole chez Thèsez-vous depuis 2021 Depuis 2021, Thèsez-vous a mis en place des activités pour les personnes s’identifiant comme Noires, Autochtones, racisées, de couleur, bref… le fameux acronyme « BIPOC » (Black, Indigenous and People of Color) [1]. Et depuis deux ans, je m’occupe de l’animation de ces activités. En tant que personne racisée dans le milieu académique, je désirais m’impliquer dans un projet auquel mon investissement sera entendu et soutenu. Le but des activités BIPOC est de se réapproprier l’Espace chez Thèsez-vous en créant un environnement sécuritaire afin que les étudiant.e.s BIPOC puissent briser l’isolement ainsi que se défaire des stéréotypes et des sentiments négatifs intériorisés dus à la marginalisation de leur identité. Rappelons que les statistiques canadiennes et québécoises dénotent un accès inégal des Premiers peuples aux études postsecondaires comparativement aux Canadien.ne.s allochtones (CAPRES, 2018). Dès lors, les étudiant.e.s autochtones vivent davantage d’obstacles non seulement à l’accès aux études supérieurs, mais également dans leur trajectoire scolaire (pertes de repère et manque de soutien, traumatisme historique, voir CAPRES, 2018). En effet, le monde universitaire constitue une institution dans laquelle le corps enseignant et l’administration continuent d’être majoritairement blancs avec un curriculum eurocentrique [2] (Henry & Tator, 2009). D’ailleurs, les études ont démontré que les personnes BIPOC, particulièrement celles s’identifiant comme femmes ou queer, vivent un sentiment d’imposteur [3] — l’idée qu’iel.le.s ne se sentent pas assez intelligent.e.s, légitimes ou adéquat.e.s malgré les preuves qui confirment leur réussite dans le milieu (Nadal et al., 2021). Conséquemment, les variétés de microagressions (Sue et al., 2019), l’intériorisation des messages sociaux négatifs face à leur identité et le sentiment d’imposteur (Nadal et al., 2021) peuvent les affecter sur le plan cognitif et émotionnel (Lewis et al., 2017 ; Budge et al., 2016). Souvent confrontées par des environnements hostiles, les personnes BIPOC risquent davantage à vivre une surcharge de travail et un épuisement professionnel (Kobayashi, 2009). Pour y répondre, l’équipe Thèsez-vous a commencé par la mise en place des Blitz BIPOC en ligne afin d’assurer un accès sécuritaire aux services et faire tomber la performance raciale lors des moments de socialisation. Ensuite, avec le retour en présentiel, des soirées de rédaction gratuites pour les étudiant.e.s BIPOC ont été proposées les mercredis (18 h à 22 h) à l’Espace Thèsez-vous (et seront de retour dès l'automne 2023). Pourquoi un espace de non-mixité est-il nécessaire ? Ce type d’espace est nécessaire, car cela permet aux étudiant.e.s BIPOC de se déposer (enlever le masque de performance devant leurs pairs) et partager les défis du milieu liés à leur identité marginalisée : les barrières administratives, la non-reconnaissance de la pertinence de nos études, la difficulté à trouver des sources de nos sujets dus aux injustices épistémiques, les agressions raciales par nos collègues et des étudiant.e.s dont nous sommes chargé.e.s de cours ou auxiliaires d’enseignement… Si certains de nos sujets de conversation sont en lien avec nos expériences de racisation, nous profitons aussi de ces moments pour partager nos réussites, des solutions face aux défis et des stratégies de résistance pour naviguer dans un milieu qui nous a longtemps étudiés, persécutés ou reniés. À travers les échanges lors de ces soirées, j’ai commencé à nouer des liens d’amitié avec d’autres étudiant.e.s qui vivent des réalités similaires aux miennes. Pour certain.e.s, je les ai recroisé.e.s dans d’autres événements autant académiques et hors-académiques. Ce type d’espace nous permet donc de consolider des alliances, de nourrir un sentiment d’autoefficacité et de nous encourager à surmonter les défis rencontrés tout en préservant notre santé mentale. Nous tentons de discuter et de surpasser les "stratégies de survie", c’est-à-dire l'adoption des codes dominants pour éviter les microagressions et de s’insérer professionnellement. Pour la première fois chez Thèsez-vous, nous organisons le Camp Rédigez-vous, édition BIPOC Date : 7 au 16 août — Tous les lundis, mardis et mercredis Heure : 13 h à 17 h Coût : 50 $ (présentiel) ou 35 $ (virtuel) Il n’est pas nécessaire de détenir un membership Thèsez-vous pour participer à cette activité, mais il faut simplement se créer un profil sur la plateforme de Thèsez-vous. Des bourses sont d’ailleurs disponibles pour participer aux activités. Pour les étudiant.e.s de l’Université de Montréal, des bourses sont offertes pour le camp BIPOC en présentiel et en ligne. Comme mentionné, au-delà d’un simple espace pour rédiger nos projets universitaires, nous rencontrons de nouvelles personnes avec qui nous développons une intimité et des affinités à travers le temps et qui dépassent largement les frontières du milieu académique. Personnellement, les blocs BIPOC m’ont permis à découvrir ma coloc et une personne que je considère comme une sœur dans ma famille choisie. Celle-ci est devenue en quelques rencontres un pilier qui m’aide à traverser mes moments difficiles dans le milieu universitaire. Et c’est de cette forme d’amitié que j’espère que les activités BIPOC chez Thèsez-vous permettront de développer dans l’avenir. Si vous avez des questions, commentaires ou suggestions en lien avec les acitivtés BIPOC, n’hésitez pas à contacter : [email protected] [1] Bien que le terme « racisé » et l’acronyme BIPOC ne fait pas l’unanimité car cela risque d’effacer certaines réalités, le choix de cet acronyme par Thèsez-vous est expliqué dans l’article de blog rédigé par Rayane Zahal, Responsable des questions d'équité, diversité et inclusion : https://www.thesez-vous.com/blogue/le-blitz-bipoc-cest-quoi [2] L’eurocentrisme est une idéologie dans laquelle le monde se construit avec les standards européens et donc, une imposition de leur vision dite universelle. Il y a alors cette prétention de la supériorité de l’Europe et l’Occident au niveau scientifique, technique, politique et culturel (Voir Inglebert, H., Chapitre 34 - La question de l’eurocentrisme, H. Inglebert, Le Monde, l’Histoire : Essai sur les histoires universelles, 2014, pp. 1109-113) [3] Communément connu sous le nom du « syndrome de l’imposteur », ce phénomène est une conséquence de la discrimination systémique. Dans la même lignée que l’article de Ruchika Tulshyan et Jodi-Ann Burey, ce « syndrome de l’imposteur » responsabilise les personnes en situation de marginalité sans prendre en contexte la création des inégalités systémiques (racisme, sexisme, classisme, capacitisme, etc.). Plutôt que de s’attarder à « fixer » les problèmes que ces personnes vivent, il faut davantage changer les structures qui nourrissent les biais et les microagressions pour promouvoir à l’émancipation des communautés marginalisées dans le milieu professionnel. (Voir Tulshyan, R., & Burey, J.-A. (2021, 11 février). Stop Telling Women They Have Imposter Syndrome. Havard Business Review.https://hbr.org/2021/02/stop-telling-women-they-have-imposter-syndrome) Références Budge, S. L., Thai, J. L., Tebbe, E. A., & Howard, K. A. (2016). The intersection of race, sexual orientation, socioeconomic status, trans identity, and mental health outcomes. The Counseling Psychologist, 44(7), 1025-1049. CAPRES (2018). Étudiants des Premiers Peuples en enseignement supérieur. https://www.oresquebec.ca/dossiers/etudiants-des-premiers-peuples-en-enseignement-superieur/ Henry, F., & Tator, C. (2009). Theoretical Perspectives and Manifestations of Racism in the Academy. In F. HENRY & C. TATOR (Eds.), Racism in the Canadian University: Demanding Social Justice, Inclusion, and Equity (pp. 22–59). University of Toronto Press. http://www.jstor.org/stable/10.3138/9781442688926.4 Kobayashi, A. (2009). Now You See Them, How You See Them: Women of Colour in Canadian Academia. In F. HENRY & C. TATOR (Eds.), Racism in the Canadian University: Demanding Social Justice, Inclusion, and Equity (pp. 60–75). University of Toronto Press. http://www.jstor.org/stable/10.3138/9781442688926.5 Lewis, J. A., Williams, M. G., Peppers, E. J., & Gadson, C. A. (2017). Applying intersectionality to explore the relations between gendered racism and health among Black women. Journal of counseling psychology, 64(5), 475-486. Nadal, K. L., King, R., Sissoko, D. G., Floyd, N., & Hines, D. (2021). The legacies of systemic and internalized oppression: Experiences of microaggressions, imposter phenomenon, and stereotype threat on historically marginalized groups. New Ideas in Psychology, 63, 100895. Sue, D. W., Alsaidi, S., Awad, M. N., Glaeser, E., Calle, C. Z., & Mendez, N. (2019). Disarming racial microaggressions: Microintervention strategies for targets, White allies, and bystanders. American Psychologist, 74(1), 128-142.
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